Accidents sportifs en milieu scolaire : de l’objection à la réparation

Une catégorie d’accidents du sport méritent une attention particulière : ceux qui surviennent dans un cadre scolaire. Selon la base d’observation des accidents corporels en milieu scolaire (BAOBAC) publiée chaque année depuis 1995 par l’Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires, 16 530 accidents survenus en 2008 au cours des activités sportives (EPS) dans les établissements scolaires ont fait l’objet d’un signalement, ce nombre ne représentant toutefois, de l’aveu même de cet organisme, qu’un « échantillon » non exhaustif, à rapporter aux 850 000 accidents de sport et de loisirs constatés chaque année chez les jeunes de 12 à 19 ans. Si la cour de récréation est le lieu le plus fréquent des accidents scolaires pour les plus petits (école maternelle et élémentaire), on constate  une inversion très nette des proportions au profit du gymnase et des activités sportives en général au collège et au lycée.

Le sport pratiqué à titre de loisir ou professionnel relève de la libre initiative de chacun, même si le manque d’information objective sur ses dangers altère bien souvent le discernement de ses adeptes. Tel n’est pas le cas, en revanche, du sport qui s’inscrit dans les programmes scolaires, car celui-ci fait l’objet d’une obligation dont seule une incapacité physique dûment constatée - résultant d’ailleurs très souvent elle-même d’accidents sportifs - peut justifier l’exemption.

Or, la prise en charge des accidents du sport survenus dans un cadre scolaire et, le cas échéant, l’indemnisation de leurs conséquences, relèvent, pour l’instant, du droit commun et se confondent avec celles des « accidents de la vie courante » : prise en charge par la sécurité sociale des soins médicaux et indemnisation éventuelle par les assurances privées facultatives. Les statistiques officielles jouent d’ailleurs de cette confusion en assimilant les accidents du sport en milieu scolaire avec ceux de la « vie courante » et sans toujours permettre de les distinguer des autres causes de traumatismes. [1] Cette situation n’est pas acceptable.

L’accident peut évidemment impliquer, en fonction des circonstances, la responsabilité  d’un autre élève, voire celle de l’établissement ou des enseignants, si des négligences ont été commises au niveau de la formation, des installations, du matériel ou de la surveillance. Il y aurait beaucoup à dire sur la légèreté et l’incompétence avec lesquelles sont souvent conduits ces « enseignements » sportifs qui prétendent initier en quelques heures pendant quelques semaines des enfants ou des adolescents à des disciplines requérant une technique complexe et rigoureuse et un entraînement méthodique, pratiquement impossibles à mettre en œuvre dans le temps scolaire…

Mais même en l’absence de faute caractérisée des établissements, des éducateurs ou d’un tiers, c’est à l’État, instigateur de l’obligation du sport scolaire inscrit dans les programmes officiels, qu’il devrait incomber d’indemniser les victimes d’accidents. Ceux-ci, en effet, ne doivent rien à la fatalité mais procèdent de l’acceptation imposée aux enfants par la puissance publique d’un risque largement prévisible.

Comme naguère les jeunes gens victimes de maladies ou d’accidents survenus pendant leur service national, les jeunes éclopés du sport scolaire doivent pouvoir prétendre à réparation pour les conséquences tant physiques que psychologiques, matérielles et sociales de ces accidents. Et elles sont nombreuses, car au préjudice corporel proprement dit s’ajoute un retentissement souvent important dans la vie de l’enfant et de sa famille, y compris les implications sur le déroulement de la scolarité elle-même des absences, périodes d’immobilisation ou de réadaptation rendues nécessaires par ces accidents : cours de rattrapage, moyens de transport adaptés, séjours dans des établissements spécialisés, contraintes sur la vie familiale ou professionnelle des parents… Et que dire des situations, hélas non exceptionnelles, où ces accidents remettent en cause la poursuite des études ou le succès aux examens et concours, pouvant compromettre de façon parfois irrémédiable l’avenir socio-professionnel de l’intéressé et le projet de toute une vie ?

Aussi serait-il légitime d’instaurer au bénéfice des enfants une véritable objection de conscience envers l’obligation du sport scolaire, en dehors même de toute pathologie ou incapacité physique. La répulsion, l’appréhension ou le simple désintérêt que peuvent manifester certains jeunes à l’égard du sport en général, ou de telle discipline sportive en particulier, constituent d’ailleurs par eux-mêmes des facteurs de risque indéniables qui doivent être pris en compte. Cette sorte de « droit de retrait » ne serait au demeurant qu’une option parmi d’autres dans un système déjà largement individualisé et pourrait s’exercer au profit  d’une autre discipline, notamment artistique, si souvent difficile à concilier avec une scolarité normale en dehors de filières spécifiques, ou encore d’un enseignement renforcé dans d’autres matières. 

En attendant une prise de conscience plus large de l’inanité et des dangers du sport, le droit d’objection et la réparation par l’État des conséquences d’accidents sont les deux axes urgents et indispensables d’un rétablissement de l’équité face à l’absurde obligation du sport scolaire.

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[1] C’est le cas par exemple pour le rapport Les accidents de la vie courante en France selon l’Enquête santé et protection sociale 2002. On estime que les accidents de sport représentent à eux seuls près de 20% des accidents dits « de la vie courante » avec recours aux services d’urgence, soit 900 000 chaque année.  Voir le rapport Description et incidence des accidents de sport d’après l’Enquête permanente sur les accidents de la vie courante 2004-2005. Les accidents de sport (à la différence, par exemple, des accidents de transport) ne sont toujours pas identifés en tant que tels dans la Classification internationale des maladies.

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